Le 23 mai 1706, dans la plaine hesbignonne de Ramillies, se joua un affrontement titanesque entre la France de Louis XIV et les forces coalisées de la Grande Alliance. Ce fut l’un des plus grands succès militaires du duc de Marlborough, dont la stratégie habile et l’exécution implacable firent vaciller l’équilibre des puissances européennes. Pourtant, cet épisode décisif de la guerre de Succession d’Espagne demeure aujourd’hui largement méconnu.
Contexte politique et militaire – Depuis 1702, la mort du roi d’Espagne Charles II a précipité l’Europe dans la guerre de Succession d’Espagne. Louis XIV entend installer son petit-fils sur le trône espagnol, mais une vaste coalition – Angleterre, Provinces-Unies, Saint-Empire et alliés – s’y oppose. En 1705, la situation militaire stagne. Le roi Soleil exige alors un succès d’éclat pour peser dans d’éventuelles négociations de paix. Le maréchal de Villeroy, piqué au vif par les critiques de Versailles, décide d’engager la bataille.
Les choix stratégiques des Alliés – Le duc de Marlborough, commandant de la coalition, revient d’une année décevante. Déterminé à restaurer l’initiative, il choisit d’opérer une poussée vers la Mehaigne. Les Alliés alignent 62 000 hommes. En face, Villeroy dispose d’un effectif similaire, mais les Français sont contraints à un déploiement prématuré et maladroit sur un front trop étiré. Marlborough mise sur la mobilité, le renseignement et la concentration des forces au bon endroit, au bon moment.
Marches d’approche – Le 18 mai, Villeroy quitte Louvain et marche vers Zoutleeuw, puis bifurque vers Ramillies. Le 22, il pense encore que Marlborough est à une journée de marche. En réalité, ce dernier a déjà rassemblé ses troupes à Corswaren, prêtes à fondre sur l’ennemi. Dès l’aube du 23 mai, les avant-gardes se croisent. Vers 11h, les deux armées se déploient en ordre de bataille sur plus de 6 kilomètres de front.
Le champ de bataille et le déploiement initial – La plaine de Ramillies, bordée par la Mehaigne et la Petite Gette, est marquée par de faibles ondulations. Le centre français s’appuie sur les villages de Ramillies et Offus, l’aile gauche s’étend jusqu’à Autre-Église, l’aile droite jusqu’à Taviers. Le terrain semble défendre naturellement la position française, mais l’allongement des lignes affaiblit la cohésion. Marlborough concentre sa cavalerie au sud et garde de nombreuses troupes en réserve.
Au sud : le combat de Taviers – À 13h, les Hollandais attaquent Taviers. Les Suisses du régiment Greder tentent de tenir le village, mais sont repoussés. Les combats sont féroces. L’infanterie hollandaise, appuyée par des dragons démontés, chasse les défenseurs dans les marais. La cavalerie alliée fond alors sur le flanc droit français désormais exposé. C’est la première brèche dans le dispositif de Villeroy.
Au nord : les combats d’Offus et d’Autre-Église – Pendant ce temps, Lord Orkney mène l’assaut contre Offus et Autre-Église. L’infanterie anglaise se heurte à une défense tenace des Wallons de la Guiche. Après plusieurs escarmouches, Marlborough se rend compte que le terrain marécageux empêche un engagement efficace de la cavalerie. Il ordonne alors la fin de l’attaque et commence un redéploiement discret vers le centre.
Ramillies : la percée – C’est au centre que Marlborough va frapper fort. Tandis que les Français continuent de déplacer leurs troupes vers le nord, pensant que l’offensive se joue là, il concentre ses bataillons et sa cavalerie au sud. À 15h30, la charge est lancée. Les escadrons alliés — hollandais, danois et anglais — avancent en ordre, débordent la cavalerie française, puis percent les lignes autour de Ramillies. Malgré une tentative de contre-attaque, l’armée française s’effondre.
La débâcle de Villeroy – Vers 18h, la retraite tourne à la panique. Les Français laissent sur le terrain 13 000 morts et blessés, 6 000 prisonniers, 80 drapeaux. Villeroy est impuissant face à la déroute. Les Alliés n’ont perdu « que » 3 600 hommes. Le lendemain, l’armée de Louis XIV est dispersée. Le champ de bataille est jonché de corps, d’armes, de chevaux.
Les pertes
- Français : environ 13 000 tués ou blessés, 7 000 prisonniers, des dizaines de drapeaux perdus.
- Alliés : 3 600 morts et blessés, peu de pertes stratégiques.
Le rapport de pertes illustre l’écrasante supériorité tactique de Marlborough.
Conséquences militaires – L’armée franco-bavaroise est chassée des Pays-Bas espagnols. Dans les semaines suivantes, Gand, Bruges, Anvers, Ostende et Termonde tombent. La campagne de 1706 est l’une des plus brillantes de la guerre. Ramillies est comparée à Blenheim (1704) et précède Audenarde (1708) et Malplaquet (1709).
Conséquences politiques – La victoire affaiblit considérablement la position de la France. Louis XIV, inquiet, cherche en vain un terrain de paix favorable. Mais les Alliés, incapables d’unir leur stratégie, laissent passer leur chance. La guerre se poursuit encore sept ans. Toutefois, la Belgique actuelle, encore appelée les Pays-Bas espagnols, devient l’un des principaux théâtres de la lutte entre grandes puissances européennes.
La bataille de Ramillies consacre le talent militaire du duc de Marlborough, l’un des plus grands capitaines de son temps. Elle marque un tournant dans la guerre de Succession d’Espagne, ouvre les portes de la Flandre aux Alliés et assène un coup terrible à la France de Louis XIV. Pourtant, elle reste dans l’ombre de Waterloo, bien que tout aussi décisive. Elle incarne cette époque où la Belgique était encore le champ de bataille de l’Europe.
Ramillies : un village à la croisée de l’histoire et de la ruralité wallonne
Niché dans la douce ondulation des campagnes brabançonnes, à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Namur, le village de Ramillies est bien plus qu’un simple point sur la carte de la Wallonie. Derrière ses paysages paisibles et ses routes bordées de champs s’étend un territoire profondément marqué par l’histoire européenne, dont le nom résonne encore dans les manuels militaires. Mais Ramillies, c’est aussi une commune rurale moderne, attachée à ses racines tout en regardant vers l’avenir. Pour beaucoup, le nom de Ramillies évoque la célèbre bataille du 23 mai 1706, épisode déterminant de la guerre de Succession d’Espagne. Ce jour-là, plus de 120 000 soldats s’affrontèrent sur ses terres, dans l’un des plus grands chocs militaires de l’époque moderne. La victoire du duc de Marlborough sur les troupes françaises du maréchal de Villeroy bouleversa l’équilibre politique en Europe, entraînant la perte des Pays-Bas espagnols par Louis XIV. Ce passé guerrier est encore visible dans la mémoire locale : des plaques commémoratives, des balades guidées sur le champ de bataille et un intérêt croissant pour la valorisation de ce patrimoine unique.
En 1977, lors de la fusion des communes, le nom de Ramillies fut retenu pour l’ensemble, en hommage à ce fait d’armes, bien que l’administration se trouve à Gérompont. La commune actuelle de Ramillies regroupe huit anciennes entités : Ramillies, Autre-Église, Bomal, Gérompont, Grand-Rosière-Hottomont, Huppaye, Mont-Saint-André et Orbais. Chacune possède sa propre identité, ses traditions, son église, parfois son moulin ou son château, ce qui confère à Ramillies une richesse patrimoniale étonnante pour une commune rurale. Située en Brabant wallon, Ramillies fait le lien entre la Hesbaye brabançonne et la Hesbaye namuroise. C’est un pays de plaines fertiles, dominé par l’agriculture, mais où la biodiversité reste présente, notamment autour de la Petite Gette ou dans les anciens chemins creux.
Avec ses quelque 6 500 habitants, Ramillies séduit ceux qui cherchent à s’éloigner de l’agitation urbaine sans pour autant renoncer à la connectivité : les grands axes (E40, N91) permettent de rejoindre rapidement Bruxelles, Namur ou Liège. La ligne de chemin de fer 147, désaffectée, fait l’objet de projets de réhabilitation douce pour les cyclistes et randonneurs. La commune mise sur une qualité de vie durable : entretien du patrimoine, soutien aux circuits courts, initiatives citoyennes pour l’environnement. L’école communale, les associations sportives et culturelles, les marchés fermiers et les activités organisées dans les anciennes fermes rénovées sont autant de signes d’un village qui vit.
Outre son passé militaire, Ramillies offre au visiteur un éventail de découvertes : l’église Saint-Sulpice (à Grand-Rosière), classée, les anciennes fermes en carré, les petites chapelles de campagne, les moulins de Huppaye et les sentiers qui serpentent dans les campagnes. La présence de la chaussée romaine Bavay-Tongres, encore bien visible à certains endroits, rappelle que Ramillies fut aussi, bien avant 1706, une terre de passage et d’échanges. Les efforts de mise en valeur de ce patrimoine discret mais authentique sont constants. La commune participe régulièrement à des projets intercommunaux, aux Journées du Patrimoine, et aux initiatives du Brabant wallon pour la promotion du tourisme rural.
Loin de se figer dans le souvenir de la bataille, Ramillies investit dans des projets tournés vers l’avenir : mobilité douce, rénovation énergétique des bâtiments publics, plantations d’arbres fruitiers dans les écoles, soutien aux jeunes agriculteurs et dynamisation des centres de village. La préservation du caractère rural n’empêche pas une volonté de modernisation intelligente et maîtrisée.
Ramillies n’est ni un musée à ciel ouvert, ni un simple village-dortoir. C’est un territoire vivant, entre histoire européenne et quotidien villageois, entre mémoire collective et initiatives locales. C’est un lieu où l’on peut suivre les traces des soldats du XVIIIe siècle… avant de s’arrêter pour déguster un fromage de ferme ou un miel local, en discutant avec un voisin.
Dans un monde en quête de racines et de liens, Ramillies offre une belle leçon : l’enracinement peut rimer avec ouverture, et la mémoire avec modernité.
Site officiel : https://www.ramillies.be/
Photo : The Battle of Ramillies, Louis Laguerre (1663-1721) montrant le duc de Malborough et son armée à Ramillies.