Le pape François vient de canoniser deux nouvelles figures de l’Église catholique. Dans ce contexte, une question revient régulièrement : pourquoi les protestants, eux, ne vénèrent-ils pas de saints ?
Qu’est-ce qu’un saint dans le catholicisme ?
Dans la tradition catholique, un saint est une personne reconnue officiellement par l’Église pour sa vie exemplaire, sa foi et, souvent, pour des miracles attribués à son intercession. La canonisation, qui relève du pape, constitue une proclamation solennelle : le fidèle concerné vit auprès de Dieu et peut être invoqué comme intercesseur. Ces figures deviennent ainsi des modèles spirituels et des médiateurs. Pour les catholiques, le culte des saints n’est pas une adoration – réservée à Dieu seul –, mais une vénération. On prie les saints pour qu’ils prient à leur tour Dieu en faveur des croyants. Cette pratique est profondément liée à la notion de “ communion des saints “ : l’idée que les vivants et les morts unis au Christ forment un seul corps spirituel.

La Réforme : retour à la Bible et rupture avec la vénération des saints
Dès le XVIᵉ siècle, Luther, Calvin et Zwingli dénoncent ce qu’ils considèrent comme des “ superstitions “ : reliques, statues, pèlerinages, invocation des saints. Leur argument central est biblique : nulle part l’Écriture n’appelle à prier des hommes ou des femmes décédés. Dans les lettres de Paul, les “ saints “ désignent tous les croyants, vivants, sanctifiés par leur foi en Christ. La conviction protestante est claire : par Jésus-Christ, chacun peut s’adresser directement à Dieu, sans médiation. “ Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez reçu “, dit l’Évangile de Marc (11,24). Dès lors, il n’y a pas besoin de “ passer “ par des saints pour être entendu. Ce rejet se nourrit aussi d’un attachement strict au Décalogue. Les commandements de l’Exode interdisent les idoles : “ Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face. Tu ne te feras pas d’image taillée… “ (Exode 20, 3-4). Pour les Réformateurs, statues et icônes conduisent au risque d’idolâtrie, d’adoration de la créature plutôt que du Créateur.

Tous saints, mais autrement
Les protestants ne rejettent pas la sainteté en tant que telle : ils la démocratisent. Toute personne qui place sa foi en Dieu est “ mise à part “ et appelée à vivre une vie sainte. La sainteté n’est pas réservée à une élite canonisée : elle se manifeste dans les choix quotidiens – justice sociale, accueil de l’étranger, respect de la création, vie éthique. Parler de “ communion des saints “ n’a donc pas le même sens que dans le catholicisme. Pour un protestant, elle désigne la fraternité entre croyants vivants, et non une communication avec les morts. Les figures de foi – François d’Assise, Luther King ou même Calvin – peuvent inspirer, mais jamais être invoquées.
Une question de cohérence biblique
Certains voient dans la canonisation une tension avec l’interdit biblique de se fabriquer des « intercesseurs ». En multipliant les saints, l’Église catholique crée, selon les protestants, une hiérarchie humaine entre Dieu et l’homme, alors même que le Christ s’est présenté comme unique médiateur (1 Timothée 2,5). La question est sensible : la vénération des saints n’est-elle pas une manière détournée d’” avoir d’autres dieux “ devant le vrai Dieu ? Les catholiques répondent que non, puisqu’ils n’adorent pas les saints mais honorent leur mémoire et sollicitent leur intercession. Mais du côté réformé, la frontière semble trop fragile et dangereuse.

Des exemples qui dérangent
Le débat prend une tournure politique lorsqu’on évoque certaines figures controversées. Faut-il envisager la canonisation du roi Baudouin ? Pour beaucoup de protestants, l’idée choque : l’ancien souverain, présenté comme défenseur de la conscience chrétienne face à l’avortement, n’en demeure pas moins lié à des zones d’ombre historiques, comme son silence sur l’assassinat de Patrice Lumumba ou ses liens avec le dictateur Franco. De tels cas illustrent la méfiance protestante : dès lors que la sainteté est proclamée par une institution humaine, elle peut être instrumentalisée à des fins politiques ou idéologiques.
La mémoire au lieu du culte
Cela ne signifie pas que le protestantisme ignore la mémoire des grandes figures. Luther est devenu un véritable “ héros culturel “ en Allemagne, parfois jusqu’à la caricature marchande (figurines Playmobil, mugs, bières). Calvin a inspiré des biographies et des recueils d’images. Mais il ne s’agit pas de culte : ces figures servent de repères historiques et spirituels, pas d’intercesseurs célestes.

Entre foi et histoire
En définitive, la divergence repose sur une compréhension différente de la médiation spirituelle.
- Pour les catholiques et orthodoxes, les saints prolongent la communion entre vivants et morts, et leur intercession élève les croyants vers Dieu.
- Pour les protestants, ce rôle appartient au seul Christ, unique médiateur. La sainteté n’est pas proclamée par une autorité mais vécue dans la foi quotidienne.
Ce débat, qui traverse l’histoire chrétienne depuis cinq siècles, révèle une tension plus large : faut-il des médiateurs humains pour rejoindre Dieu, ou bien la foi suffit-elle ?

