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Bella Ciao : de la rizière aux barricades, l’épopée d’un chant universel

Il suffit d’entendre les premières notes de Bella Ciao pour que les images se bousculent : partisans dans la montagne, drapeaux rouges, poings levés… ou braqueurs masqués dans La Casa de Papel. Mais réduire cette chanson à l’hymne d’une série Netflix serait passer à côté d’un siècle et demi d’histoire sociale, politique et musicale. Bella Ciao est à la fois un chant de labeur, de révolte et de liberté, porté par des générations successives et transformé au fil des luttes.

Des rizières du Pô à la naissance d’un symbole

L’histoire de Bella Ciao remonte bien avant la Seconde Guerre mondiale. À l’origine, il s’agit d’un chant de travail entonné par les mondine, ces ouvrières saisonnières qui travaillaient dans les rizières du nord de l’Italie. Courbées dans l’eau des heures durant, surveillées par des contremaîtres parfois brutaux, elles exprimaient leur fatigue et leur colère en chanson. La version la plus ancienne, connue sous le nom de Alla mattina appena alzata, raconte la journée qui commence à l’aube, le dos voûté, les moustiques et le bâton du patron. Le refrain « Bella ciao » était à la fois une salutation et un cri du cœur, un appel à la dignité. L’historien Cesare Bermani et l’ethnomusicologue Roberto Leydi ont documenté ces chants qui circulaient dans les rizières du Piémont et de la Vénétie dès la fin du XIXᵉ siècle. La chanson devient ainsi un symbole de la condition ouvrière, bien avant de devenir celle de la Résistance.

De la chanson sociale à l’hymne partisan

C’est dans les années 1940 que Bella Ciao prend une dimension politique nouvelle. Alors que l’Italie est coupée en deux, avec le nord sous contrôle fasciste et nazi et le sud allié aux forces royales, les partisans se battent dans les montagnes. Des paroles nouvelles, attribuées à Vasco Scansani, évoquent le sacrifice du combattant pour la liberté : “ Et si je meurs en partisan, enterrez-moi là-haut dans la montagne, sous l’ombre d’une belle fleur. “ .Pourtant, les historiens rappellent que la chanson n’a été que très peu chantée pendant la guerre, et surtout par certaines brigades comme celle de Maiella. Ce n’est qu’après 1945 que Bella Ciao devient l’hymne consensuel de la Résistance italienne. Publiée en 1953 dans une revue d’ethnographie dirigée par Alberto Mario Cirese, puis reprise par les jeunesses socialistes à Prague en 1947, elle devient peu à peu le chant officiel de la mémoire antifasciste.

L’invention d’une tradition

Dans les années 1960, la chanson connaît une renaissance spectaculaire. Giovanna Daffini, ancienne mondina devenue chanteuse populaire, enregistre une version en 1962. Yves Montand contribue à son rayonnement international. Elle devient alors l’étendard des mouvements étudiants et ouvriers en Europe, rejoignant le panthéon des chants de lutte aux côtés de L’Internationale ou du Chant des Partisans. Ce phénomène illustre ce que les sociologues appellent « l’invention d’une tradition » : un chant ancien, dont les origines sont multiples et parfois floues, devient le symbole d’un combat collectif et se charge d’une mémoire partagée.

Une chanson toujours vivante

Depuis, Bella Ciao a voyagé bien au-delà de l’Italie. Elle a été reprise en espagnol par le groupe chilien Quilapayún, en occitan par Patric, en créole par The Bolokos, en arabe par Bendir Man, en turc par Grup Yorum, et même par Tom Waits sur l’album Songs of Resistance 1942–2018. Plus récemment, sa diffusion dans La Casa de Papel a offert une seconde jeunesse au chant, transformant l’hymne des partisans en cri de ralliement pop-culturel. Elle est redevenue un chant de résistance en Iran en 2022, entonné par des manifestantes après la mort de Mahsa Amini, et en Turquie où elle a été diffusée clandestinement depuis les minarets d’Izmir. La chanson reste un outil de contestation, capable d’émouvoir bien au-delà de ses racines italiennes.

Folk, rock, rap : la musique comme arme

L’histoire de Bella Ciao illustre une vérité plus large : le folk n’est pas qu’une musique nostalgique, c’est souvent un art engagé. Comme le rock des années 1960 ou le rap des années 1990, le folk a toujours eu un rôle de contre-pouvoir, donnant une voix aux invisibles. Des chansons de Woody Guthrie aux ballades de Joan Baez, le folk a servi de vecteur à la contestation sociale, aux luttes syndicales, aux mouvements pacifistes. À l’heure où la pop se concentre sur les émotions individuelles, Bella Ciao nous rappelle que la musique peut aussi mobiliser les foules, fédérer les colères et nourrir l’espérance.

Chants de lutte : sept hymnes à la comparaison

Bella Ciao

  • Origine / époque : Chant des rizières du nord de l’Italie, adapté en hymne partisan vers 1943.
  • Message : Dignité, résistance, sacrifice.
  • Mode d’action : Chant collectif, mémorisable et adaptable dans de nombreuses langues.

L’Internationale

  • Hymne ouvrier de 1871, symbole du mouvement socialiste et communiste.

Strange Fruit – Billie Holiday

  • Blues de 1939 dénonçant les lynchages raciaux aux États-Unis, bouleversant et accusateur.

We Shall Overcome

  • Chant de gospel devenu hymne du mouvement des droits civiques dans les années 1960.

Fischia il vento

  • Chant partisan italien plus radical, chanté sur l’air de Katioucha.

Fight the Power – Public Enemy

  • Hymne du hip-hop contestataire des années 1980, appel à défier les institutions.

Antisocial – Trust

  • Origine / époque : Rock français, 1980.
  • Message : Rejet de l’hypocrisie sociale, dénonciation du monde du travail aliénant.
  • Mode d’action : Chanson de révolte générationnelle, adoptée par toute une jeunesse comme cri de colère.

Qu’il s’agisse de folk, de rock ou de rap, ces chants ont un point commun : transformer la colère en énergie collective. Ils ne sont pas de simples divertissements, mais des catalyseurs de changement, rappelant que la musique reste l’un des moyens les plus puissants pour dire non.

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