C’est une découverte qui ravira les amateurs de dinosaures et les passionnés de paléontologie : une nouvelle espèce d’iguanodontien vient d’être identifiée sur la côte atlantique portugaise. Baptisée Cariocecus bocagei, cette espèce du Crétacé inférieur se distingue par un crâne exceptionnellement bien conservé et riche en informations inédites sur l’anatomie et le mode de vie de ces dinosaures herbivores. « Nous avons même pu observer l’empreinte des hémisphères cérébraux et du système auditif », se réjouit Filippo Bertozzo, paléontologue à l’Institut des Sciences naturelles et premier auteur de l’étude. Publiée dans le Journal of Systematic Palaeontology, cette découverte vient combler une lacune dans la carte paléontologique de l’Europe, en offrant au Portugal son premier iguanodontien officiellement décrit.
Un trésor sur la plage de Cabo Espichel
Le crâne a été mis au jour sur la plage isolée de Praia do Areia do Mastro, près du Cabo Espichel (Sesimbra), dans l’ouest du Portugal. Le site appartient à la Formation de Papo Seco, une succession de couches rocheuses datant de 125 millions d’années et déjà réputée pour ses fossiles d’invertébrés, de poissons et de crocodiles. Découvert en 2016, le crâne est resté en attente d’étude pendant plusieurs années. Ce n’est qu’après la pandémie que l’équipe de l’Institut des Sciences naturelles, en collaboration avec la Sociedade de História Natural de Torres Vedras, a pu entamer la délicate préparation du fossile. « Ce n’est qu’une fois toute la roche retirée que nous avons réalisé à quel point sa conservation était exceptionnelle », explique Stéphane Berton, préparateur de fossiles. Le fossile comprend le côté droit du crâne, une partie de la voûte crânienne et une boîte crânienne presque complète – un ensemble rare dans le registre fossile des iguanodontiens.

Un crâne qui en dit long
Les chercheurs ont identifié des caractéristiques uniques jamais observées auparavant :
- Un maxillaire soudé à l’os jugal, formant une mâchoire particulièrement robuste.
- Un os sus-orbitaire très bas, qui aurait supporté une arcade sourcilière proéminente, peut-être comparable à celle d’un rapace moderne.
- Des sutures crâniennes ouvertes, indiquant que l’animal était encore jeune au moment de sa mort.
Les micro-scans CT ont permis de visualiser l’intérieur de la boîte crânienne en haute définition : empreintes du cerveau, nerfs crâniens et même la structure de l’oreille interne, offrant la reconstruction la plus précise de cet organe jamais réalisée pour un dinosaure. « Une tête est toujours une trouvaille spéciale », souligne Bertozzo. « Elle nous en apprend bien plus que des os isolés. »

Des dents révélatrices
L’étude a aussi mis en évidence un système de remplacement dentaire particulièrement clair, avec des dents de rechange prêtes à succéder aux dents usées. Cela confirme que Cariocecus bocagei avait une morsure puissante, adaptée à un régime herbivore exigeant.
Un monde d’iguanodontiens
Au Crétacé inférieur, les iguanodontiens dominaient les écosystèmes européens. Ces grands herbivores bipèdes, cousins des célèbres hadrosaures (dinosaures à bec de canard), pouvaient atteindre plusieurs mètres de long et vivaient en groupes. La découverte de Cariocecus bocagei vient enrichir la diversité connue de ces animaux, déjà représentés par des espèces découvertes en Belgique, en France, en Espagne et en Grande-Bretagne.
Le saviez-vous ?
Les plus célèbres iguanodons d’Europe ont été découverts en 1878 à Bernissart, en Belgique. Une trentaine de squelettes presque complets y ont été mis au jour dans une mine de charbon. Aujourd’hui, ces spécimens sont exposés au Musée des Sciences naturelles de Bruxelles, formant l’une des plus impressionnantes collections de dinosaures au monde.
Un nom aux racines ibériques
Le nom Cariocecus fait référence à une divinité guerrière vénérée par les peuples ibères et lusitaniens. L’aspect du crâne évoque celui des chèvres ou des chevaux, animaux souvent associés aux rites de ces peuples. L’épithète bocagei rend hommage au zoologiste du XIXe siècle José Vicente Barbosa du Bocage, pionnier de la recherche zoologique au Portugal.
Une découverte qui fait date
Cette découverte n’est pas qu’une curiosité scientifique : elle éclaire un pan entier de l’évolution des iguanodontiens et de leur dispersion à travers l’Europe. Elle prouve aussi que le Portugal, encore relativement peu exploré sur le plan paléontologique, a beaucoup à offrir. « C’est un travail collectif, insiste Bertozzo. Cariocecus bocagei est le fruit de plusieurs mois de collaboration entre institutions et d’un travail minutieux de préparation et d’analyse. » Pour les visiteurs qui souhaitent plonger dans l’univers fascinant de ces dinosaures, le Musée des Sciences naturelles de Bruxelles reste une destination incontournable – un lieu où le passé prend vie et où l’on peut, presque, croiser le regard des iguanodons de Bernissart.

