Au printemps de 1957, sur les quais ensoleillés de La Goulette, une jeune femme de 19 ans au regard sombre et à l’allure fière est couronnée « la plus belle Italienne de Tunisie ». Elle s’appelle Claude Joséphine Rose Cardinale, et elle ignore encore que ce concours va changer le cours de son destin. Le prix ? Un voyage à la Mostra de Venise. L’Italie l’adopte aussitôt, le cinéma la réclame, et Claudia Cardinale – surnom choisi par les producteurs pour sublimer son prénom – devient rapidement l’une des figures les plus éclatantes du 7ᵉ art.

Son premier rôle, dans Goha de Jacques Baratier aux côtés d’Omar Sharif, n’est qu’un début. Franco Cristaldi, producteur et futur époux, devient son mentor et l’introduit dans le monde du cinéma italien en pleine effervescence. En quelques années, elle enchaîne les films marquants : Rocco et ses frères de Visconti, Huit et demi de Fellini, Le Guépard où elle incarne la mythique Angelica Sedara. Hollywood la courtise, mais elle refuse d’y rester : « À Hollywood, c’est un métier cannibale », confiera-t-elle plus tard. Claudia Cardinale reste profondément européenne, façonnant sa carrière avec des choix audacieux, de Cartouche avec Belmondo à Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, où elle campe Jill, une héroïne forte et sensuelle qui change le destin du Far West.

Derrière l’icône glamour et les robes signées Yves Saint Laurent, Paco Rabanne ou Giorgio Armani, se cache une femme discrète sur sa vie privée. Elle révéla seulement dans les années 1960 avoir donné naissance à un fils après un viol subi à l’adolescence, un drame longtemps tenu secret. Cette épreuve l’a forgée, tout comme son unique grande histoire d’amour : Cristaldi, qu’elle épousa en 1966 mais dont le mariage ne fut jamais reconnu en Italie.
Son engagement dépasse le cinéma : marraine de causes humanitaires, ambassadrice de bonne volonté de l’UNESCO, militante pour l’émancipation des femmes et l’accès à l’éducation, Claudia Cardinale n’a jamais hésité à utiliser sa notoriété pour défendre les droits humains. Elle s’impliqua aussi pour l’écologie, soutenant le Green Drop Award à la Mostra de Venise et dénonçant les violences faites aux femmes.

Son style, mélange de douceur méditerranéenne et de force intérieure, fit d’elle un sex-symbol des années 1960, souvent comparée à Sophia Loren et Gina Lollobrigida. Mais Cardinale ne se limita jamais à l’image de femme fatale : elle revendiquait son droit à vieillir librement et refusa longtemps la scène avant de se lancer au théâtre à soixante ans passés. Elle y interpréta La Vénitienne, Comme tu me veux de Pirandello, Doux oiseaux de jeunesse et La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, prouvant qu’elle pouvait séduire aussi en direct, sans caméra.
Côté musique, elle surprend avec plusieurs singles et albums entre 1970 et 1989 : Keep Up Your Smile, Popsy-Pop Song, ou encore Sun… I Love You. Elle enregistre même un album de poèmes de Karol Wojtyla en 2010, confirmant son goût pour la poésie et la voix.
Sa filmographie impressionne : près de 150 films, des comédies italiennes aux fresques historiques, des drames intimistes aux westerns spaghetti. Elle fut récompensée par des prix prestigieux – David di Donatello, Rubans d’Argent, Légion d’Honneur, Grand Cordon du Mérite tunisien – et saluée par des rétrospectives dans les plus grands festivals.
En septembre 2025, Claudia Cardinale s’éteint à Nemours à l’âge de 87 ans. Le monde du cinéma perdait l’une de ses dernières icônes de l’âge d’or, mais ses rôles continuent d’illuminer les écrans. Elle restera cette voix singulière, ce regard à la fois fier et mélancolique, ce symbole d’une féminité libre et indomptable.

