Entretien avec Stéphanie Gibaud lanceuse d’alerte et marraine du site jimagine.org
Benoit de Jimagine : Bonjour Stéphanie tout d’abord je vous souhaite la bienvenue sur jimagine.org,
je rappelle que vous êtes la marraine du site depuis septembre 2018, et je voulais vous remercier de nous accorder cet entretien, pouvez vous présenter en quelque lignes.
Stéphanie GIBAUD : J’étais la responsable Marketing & Communication de la banque suisse UBS (l’ancienne Union des Banques Suisses) à Paris pendant 12 années.
Mon métier consistait notamment à organiser des actions de Relations Publiques, qui avaient pour objectif d’aider la banque à développer sa notoriété et sa clientèle lors d’événements prestigieux et haut de gamme à destination des Français les plus fortunés.
En juin 2008, suite à une perquisition dans le bureau du directeur général, ma supérieure hiérarchique m’a demandé de détruire un certain nombre de fichiers et d’archives qui contenaient le nom de clients et de prospects de la banque.
Alors que j’essayais simplement de comprendre le rapport entre cette perquisition et mon métier, je sentais que l’on m’en voulait énormément de ne pas avoir détruit ces archives.
Des collègues banquiers, qui avaient des soucis avec leur hiérarchie, se sont alors rapprochés de moi, m’apprenant que mon métier servait à mettre en contact des clients français et des banquiers suisses sur notre territoire afin qu’ils puissent ouvrir des comptes “offshore” en Suisse et y transférer des actifs financiers, non déclarés dans leur grande majorité. Ces mêmes banquiers m’informaient par ailleurs qu’une comptabilité parallèle permettait de calculer le bonus des banquiers qui aidaient leurs clients à effectuer ce type d’opérations.
J’ai alors alerté toutes les hiérarchies de la banque à Paris et ai posé des questions lors de réunions officielles avec la Direction d’UBS puisque j’étais une élue, nommée Secrétaire du CHSCT – Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail.
Benoit de Jimagine : Pouvez vous nous parler un peu plus de votre action de lanceuse d’alerte ?
Stéphanie GIBAUD : J’ai porté plainte contre UBS en 2009 pour les fraudes dont j’avais pris connaissance (démarchage bancaire illicite, évasion fiscale et blanchiment de capitaux en bande organisée) mais également pour le harcèlement subi et l’entrave à ma mission d’élue.
Après avoir subi à la fois un “déclassement professionnel” et souffert d’une dépression et de nombreux arrêts maladie liés aux pressions intenses que je subissais au sein de la banque, je me retrouvais au printemps 2011 Porte d’Auteuil pour gérer les invitations de nos clients lors du tournoi de tennis de Roland Garros.
Une équipe des douanes judiciaires m’a alors contactée le premier jour du tournoi, m’expliquant que des membres de leur équipe me suivraient pendant deux semaines à Roland Garros et m’apprenant que “chez UBS, la fraude continue”. Plusieurs événements lors du tournoi m’ont confirmé que ces fonctionnaires assermentés avaient raison. J’ai ensuite été régulièrement convoquée à leurs bureaux jusqu’à l’été 2012 et leur ai transmis sur ordre des documents et des informations confidentiels appartenant aux serveurs d’UBS.
Benoit de Jimagine : Vous avez publié des livres la femme qui en savait vraiment trop pouvez-vous nous en parler ?
Stéphanie GIBAUD : J’ai publié “La Femme qui en savait vraiment trop” (Cherche Midi) qui raconte les trois années et demie vécues au sein de la banque après avoir lancé l’alerte auprès des différentes hiérarchies.
Il me semblait alors que le harcèlement que j’ai subi était exceptionnellement violent et méritait que l’on s’interroge sur ce type de management afin qu’il soit puni.
Hélas, nous savons aujourd’hui que le harcèlement est devenu monnaie courante, notamment au sein des multinationales. Par ailleurs, nous savons également que tous les lanceurs d’alerte qui ont dénoncé des dysfonctionnements à leur(s) hiérarchie(s) ont tous été harcelés avant d’être licenciés.
Dans la mesure où UBS a médiatiquement toujours nié les fraudes mises en place et le harcèlement que j’ai subi, j’ai souhaité que mon témoignage soit public pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il s’agit d’une alerte pour tous les citoyens français : que tous se posent la question de savoir à quoi ont servi les milliards d’Euros que j’ai pu aider à recouvrer. Par ailleurs, étant donné ma situation dix années plus tard, abandonnée par les Ministres du Budget et des Finances qui se succèdent, je souhaitais alerter sur les conséquences dramatiques de l’intégrité et de l’honnêteté en France, reconnue internationalement comme étant le pays de la liberté et “des droits de l’homme”. Enfin, je souhaitais transmettre à mes enfants l’histoire telle que nous l’avons véritablement vécue.
J’ai publié “La traque des lanceurs d’alerte” préfacée par Julian Assange pour retracer le parcours de différents lanceurs d’alerte en France et à l’étranger.
En effet, quelles que soient les alertes, quelles que soient les lois, nous avons constaté que le résultat est identique : on « tue le messager plutôt que l’on s’intéresse au contenu de son message”.
La liberté de la presse, la liberté d’information sont également en grand danger dans notre pays et ailleurs. Il convenait de réfléchir à des préconisations, de laisser la parole à des acteurs de changement pour que la traque puisse s’inverser, que les corrompus et les fraudeurs soient punis et que nous puissions tous vivre dans un monde meilleur.
Benoit de Jimagine : Merci Stéphanie de nous avoir accordé cet entretien, je vous souhaite une bonne journée.
Stéphanie GIBAUD : Merci à vous. Merci de votre intérêt ! Bonne journée, à bientôt.