Un regain d’intérêt inédit
Depuis l’invasion russe du 24 février 2022, la musique folk ukrainienne connaît une véritable renaissance. Un mouvement de fond semble avoir jailli des entrailles de l’histoire, embrassé par une génération avide de se reconnecter à ses racines. Ce regain d’intérêt ne se limite ni au folklore rural ni à des festivals poussiéreux, mais s’exprime dans les bars branchés de Kyiv, les ateliers bondés et même les dancefloors techno. À Kyiv, à la fin de l’hiver 2024, le V’YAVA, club réputé de la capitale, a accueilli quatre chanteurs folk ukrainiens accompagnés d’un DJ (AKTYCHNO SAMI – anciennement connu sous le nom de Qarpa) . Les polyphonies traditionnelles se mêlaient aux BPM électroniques, et le public dansait — preuve que « la musique folk devient stylée » selon Stepan Andrushchenko de Shchuka Ryba .

Une réponse défensive et identitaire
Pour les Ukrainiens, la redécouverte du chant traditionnel ne relève plus du folklore ou de l’ethnographie : c’est devenu une mesure défensive culturelle. Face aux tentatives russes d’« assimilation », s’écouter chanter permet de s’ancrer dans l’histoire et de proclamer l’existence même de l’État ukrainien. Viktor Perfetsky, 22 ans, raconte avoir commencé des cours de chant dès le début de la guerre : « Si nous ne savons pas qui nous sommes, les Russes viendront et nous forceront à être ce qu’ils veulent que nous soyons » .Les chansons traditionnelles, longtemps perçues comme archaïques, sont désormais jouées dans les festivals en plein air ou les espaces urbains, et les ateliers de chant en « voix blanche » (white voice), ce style vocal puissant et rugueux, se vendent comme des petits pains .
Des collecteurs aux jeunes urbains
Après l’indépendance ukrainienne en 1991, des collecteurs comme Kateryna Kapra ont parcouru villages et campagnes pour archiver et préserver les chants authentiques, notamment dans les années 2010. Mais l’intérêt était faible à Kyiv — seulement quelques personnes se présentaient à ses ateliers . Aujourd’hui, cette dynamique est renversée : des groupes d’artistes comme Shchuka Ryba, et d’autres tels que DakhaBrakha ou Onuka, fusionnent tradition et modernité en incorporant jazz, électro, rap ou rock pour rendre ce patrimoine attrayant à un public jeune et urbain

Festivals, performance et mémoire collective
Partout dans le pays, la scène folk vit une expansion notable. Le festival biannuel Kraina Mriy, fondé en 2004, attire environ un million de visiteurs en été et en hiver, proposant musique, artisanat, cuisine et expositions culturelles . Le Trypilske Kolo, festival culturel-estival dans la région de Kyiv, met en avant les traditions ethniques, la musique du monde et les rythmes folk-rock . À l’échelle internationale, des projets comme JAZZ KONTAKT — intégrant folk, jazz et réflexion post-conflit — illustrent comment la musique devient un espace de dialogue et de reconstruction culturelle à l’ère post-guerre .
Avtentyka et expérimentation contemporaine
Parmi les genres les plus fascinants émerge l’avtentyka, cette musique folk authentique qui se veut à la fois archaïque et moderne. L’album Hildegard de Heinali et Adriana-Yaroslava Saienko fusionne chants folk d’Ukraine avec musique médiévale vocale et synthétiseurs modulaires. Une illustration sonore de la catéchèse entre tradition, trauma et résilience.

Tradition vivante : rites, chants et espoirs
Plus qu’une tendance artistique, la reconquête de la tradition se fait aussi dans la rue et dans les rites populaires. Par exemple, la célébration de la fête d’Ivana Kupala, le solstice d’été, a réuni des centaines de personnes près de Kyiv en juin 2025, renouant avec les danses folkloriques, les chants, les tresses florales et les feux de joie – une bouffée de liberté et de lien culturel en plein conflit .

Une culture au service de la résilience
Que ce soit dans les salles de concerts, les festivals, les ateliers ou les traditions de plein air, la musique folk est devenue un pilier de la reconstruction culturelle en Ukraine. Elle nourrit la mémoire, fédère les générations et affirme la souveraineté identitaire du peuple ukrainien — tout en s’inscrivant dans une modernité résolue.
La scène folk ukrainienne, jadis reléguée, s’impose aujourd’hui comme un espace vital et militant. Elle incarne la résistance, réécrit l’histoire collective et forge les contours d’une identité rédimée — une identité vivante, revendiquée et vibrante, capable de contrecarrer l’auto-effacement que l’assaillant imposait.


Le groupe folklorique « Roksolania » a été fondé en 2001, en même temps que le département de folklore musical. Il a été créé par Lydia Dunayevska, fondatrice du département de folklore de l’Université nationale Taras Chevtchenko de Kiev, et par Ivan Pavlenko, professeur de folklore. Il est à la tête de « Roksolania ». L’objectif principal du groupe folklorique est de collecter, de traiter et de populariser des échantillons de musique folklorique de différentes régions d’Ukraine. L’équipe musicale du groupe comprend plusieurs chorales, duos, trios et solistes. « Roksolania » est un ensemble instrumental et de danse folklorique. L’un des principes fondamentaux de son travail créatif est l’étude des caractéristiques stylistiques traditionnelles du chant national, interprété dans différents genres et styles de chant, ainsi que la reproduction de rituels, y compris l’accompagnement instrumental et les danses folkloriques. Le 25 avril 2005, « Roksolania » a obtenu le statut d’ensemble folklorique.
