LE TRAITÉ DE L’ELYSEE 1963
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs discussions ont lieu pour tenter de reconstruire l’Europe à partir des ruines laissées par la guerre. Ainsi, dans sa déclaration du 9 mai 1950, Robert Schuman, alors ministre français des Affaires étrangères, appelait les États européens à agir de manière solidaire. Son intérêt portait particulièrement sur la gestion du charbon et de l’acier franco-allemands et européens plus généralement. Par conséquent, il envisage la création d’une organisation supranationale chargée de gérer ces deux matières premières. L’objectif visé est, non seulement, de rapprocher la France et l’Allemagne et les autres pays qui y adhéreront, de promouvoir le développement économique, mais surtout de créer un climat de paix durable au sein de l’organisation.
La Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) est ainsi fondée le 18 avril 1951 regroupant six États membres (la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas). De fait, elle vient marquer le début d’un long processus de rapprochement entre les pays européens en vue de la reconstruction du continent.
Le 22 janvier 1963, le traité de l’Élysée est signé, s’inscrivant dans ce processus de coopération et de consolidation de la paix. Il a toutefois une importance particulière, du fait qu’il a réussi de faire ce que la CECA peinait de faire : Tourner la page d’une histoire guerrière franco- allemande.
CONTEXTE HISTORIQUE
De 1939 à 1945, l’Europe est pour la deuxième fois l’épicentre d’une guerre mondiale sanglante. C’est sans aucun doute le continent qui s’est le plus investi en ressources politiques, militaires et matérielles. Par voie de conséquence, il est le continent le plus touché du monde. Alors que le nombre total de morts est estimé à environ 50 à 60 millions, l’Europe compte environ 30 millions de morts. Cette hécatombe démographique provoque également une crise économique et sociale en Europe.
Alors, penser à la reconstruction du système économique et socio-politique européen, au lendemain des hostilités, devenait de plus en plus urgent. Certes, la page de la guerre est tournée, mais une autre s’est ouverte avec de nouvelles rivalités sous influence américaine et soviétique en Allemagne divisée et occupée dans un contexte de guerre froide.
Le 9 mai 1950 au Quai d’Orsay à Paris devant 200 journalistes 1950, Robert Schuman annonce un plan de reconstruction européenne. Connu sous le nom historique de « plan Schuman ou déclaration Schuman », ce programme mise sur la solidarité européenne pour restaurer le continent en créant des liens de coopération entre les États européens, et en particulier entre l’Allemagne et la France, afin de garantir la paix et bâtir un marché commun solide.
Inspiré par Jean Monnet, commissaire français au Plan de 1947 à 1952, cette déclaration aspire à la création d’une organisation indépendante des États membres, dont le but est de gérer la production du charbon et d’acier, souvent servis pour l’industrie de l’armement. Sans aucun doute, Schuman vise les deux pays situés de part et d’autre du Rhin, qui se sont opposés matériellement et politiquement au cours de l’histoire, notamment en 1871, de 1914 à 1918 et de 1939 à 1945. Dans son texte, il affirme :
« La mise en commun des productions de charbon et d’acier […] changera le destin de ces régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre dont elles ont été les plus constantes victimes. »
Cette institution supranationale autonome sera d’abord un moyen réel de contrôler cette production française et allemande de charbon et d’acier, puis, à long terme, un véritable pas vers la paix et la reconstruction de l’Europe. Schuman poursuit : « Celui qui ne dispose plus librement de l’énergie et de l’acier ne peut plus déclarer la guerre. » La CECA se donne ainsi comme objectif de créer un marché libre en supprimant les droits de douane interétatiques et faciliter l’intégration économique.
Si l’intention de Robert Schuman est de reconstruire le continent européen et son économie grâce à des liens interétatiques, par l’intermédiaire de la France et de l’Allemagne, il s’agit également, pour lui, d’instaurer une paix durable, sans laquelle toute coopération est impossible. Cette alliance est un moyen important de réconcilier, avec des faits concrets, deux Etats- ennemis. Car lorsqu’ils coopèrent, ils se rapprochent, communiquent entre eux, négocient et prennent des décisions ensemble et, surtout, dans un esprit de solidarité. D’une certaine manière, ils partagent la même vision politique. Dans ce contexte, la paix est au centre des relations, ce qui élimine le risque de guerre. C’est exactement ainsi que Schuman conçoit cette coopération franco-allemande du charbon et de l’acier. Il affirme, dans ce cas, qu’une guerre entre l’Allemagne et la France est non seulement impensable, mais matériellement impossible.
LE TRAITÉ DE L’ÉLYSÉE
Le traité de l’Élysée, ou traité d’amitié franco-allemand est signé le 22 juin 1963 au palais de l’Élysée par le président français, le général de Gaulle et le chancelier allemand, Konrad Adenauer. Il est précédé par une série de voyages des deux chefs d’État.
Le premier voyage était la visite du chancelier Adenauer en France le 14 septembre 1958, à l’invitation de son homologue de Gaulle dans sa maison de Colombey-les-Deux-Églises. Quatre ans plus tard, le 8 juillet 1962, lors d’une visite officielle en France, le chancelier Adenauer assistait à la messe dans la cathédrale de Reims, aux côtés du président de Gaulle. Cette cathédrale est, en effet, un lieu symbolisant l’histoire culturelle et cultuelle de la France, touchée par les bombardements nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce monument, en tant qu’édifice sacré, véhicule des valeurs de pureté et de sincérité. Cette messe à laquelle ils ont assisté ensemble donne donc l’image d’un véritable rapprochement, d’une réconciliation sincère, d’un tandem franco-allemand qui se sacralise. Quelques semaines plus tard, du 4 au 9 septembre 1962, le général de Gaulle se rendait en Allemagne, où il prononçait un beau discours en allemand devant la jeunesse allemande.
Même si la France et l’Allemagne travaillent, depuis 1951, main dans la main, dans le cadre de la CECA pour un avenir européen meilleur, le traité de l’Élysée tient des engagements décisifs pour une fraternisation des sociétés civiles et militaires des deux côtés du Rhin.
Le texte du traité mentionne trois points qui résument l’engagement du président français de Gaulle et du chancelier allemand Konrad Adenauer en présence de Georges Pompidou (Premier ministre français), Maurice Couve de Murville (ministre français des Affaires étrangères) et Gerhard Schröder (ministre fédéral des Affaires étrangères) : une réunion des deux chefs d’État deux fois par an, une réunion des ministres des Affaires étrangères des deux pays au moins tous les trois mois et enfin une réunion régulière des autorités compétentes des deux pays dans les
domaines de la défense, de l’éducation et de la jeunesse. En outre, un programme est défini afin de concrétiser le traité. Cela concerne les domaines de la politique étrangère, de la défense, de l’éducation et de la jeunesse.
En matière de politique étrangère, il s’agit d’une vision concertée à l’extérieur, c’est-à-dire d’une démarche commune au sein des organisations européennes et internationales dont les deux pays sont membres. Comme le Conseil de l’Europe, l’Union européenne, l’OTAN, les Nations unies et leurs agences spécialisées. La coopération concerne également le domaine de l’information, la politique d’aide au développement des pays du tiers monde ainsi que les secteurs économiques, agricoles et industriels de part et d’autre.
Dans le domaine de la défense, il s’agit de faire coopérer les armées des deux pays afin de créer un système de défense commun. À cette fin, des organismes franco-allemands de recherche militaire seront créés, les échanges de personnel entre les armées des deux pays seront renforcés et l’apprentissage de la langue du voisin sera encouragé dans les écoles d’état-major pour les stagiaires. L’accord préalable sur les questions d’armement est également souligné.
Dans le domaine de l’éducation et de la jeunesse, l’enseignement de la langue du pays voisin sera au centre des préoccupations. Selon le texte du traité, il s’agit là d’un point essentiel pour la compréhension mutuelle et le dialogue réciproque entre les deux peuples. En outre, une collaboration est prévue en matière d’équivalence des diplômes universitaires, de recherche scientifique et de possibilité d’échanges d’élèves, d’étudiants et de jeunes travailleurs entre les deux pays.
L’IMPACT DE LA COOPÉRATION
Le traité de l’Élysée a des résultats concrets. Les engagements pris dans les domaines de la défense, de la diplomatie, de l’éducation et de la jeunesse sont poursuivis et renforcés.
L’un des premiers fruits du traité de réconciliation franco-allemand est la création de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), fondé en juillet 1963, six mois après la signature du traité. Il joue un rôle très important dans la compréhension mutuelle et le dialogue entre les jeunes français et allemands. Depuis 1963, avec l’action de l’Office, environ 10 millions de jeunes français et allemands ont participé à 400 000 programmes d’échange. L’OFAJ joue également un rôle important dans le développement professionnel des jeunes. À cette fin, il soutient des projets professionnels destinés aux jeunes des deux pays.
L’Université franco-allemande est également un vecteur clé de la formation et de l’intégration professionnelle des jeunes des deux pays. Fondée en 1997, elle offre aux jeunes la possibilité de poursuivre leurs études dans le pays voisin.
Dans le domaine culturel, une chaîne de télévision franco-allemande est créée en 1986 à l’initiative du président français Mitterrand et du chancelier allemand Kohl. La première diffusion a lieu en 1992. Avec ses émissions, la chaîne apporte une contribution importante au dialogue interculturel entre les deux peuples de part et d’autre du Rhin.
Concernant la recherche scientifique, le Centre Marc Bloch est fondé à Berlin en 1992, un an après la réunification de l’Allemagne. Ce centre s’intéresse non seulement à la formation des jeunes français et allemands à la recherche scientifique, mais aussi à la promotion commune de la recherche interdisciplinaire en France et en Allemagne.
Dans le domaine de la défense, la brigade franco-allemande est créée en 1989. Elle joue également un rôle important dans la coopération bilatérale entre les deux pays. La brigade participe aux opérations internationales de la France et de l’Allemagne. Elle est composée d’hommes et de femmes et contribue à renforcer la confiance dans les relations entre les deux pays.
CONCLUSION
En résumé, la déclaration du ministre français des Affaires étrangères Robert Schuman du 9 mai 1950 marque le point de départ du processus de rapprochement entre la France et l’Allemagne au lendemain de la Grande Guerre. Elle pose déjà les jalons d’un long processus de vraie reconstruction européenne. Son objectif est de fonder une économie européenne commune et d’instaurer la paix entre les nations européennes, notamment entre la France et l’Allemagne, qui se sont longtemps affrontées au cours de l’histoire.
Fondée le 18 avril 1951 par la signature de six États (la France, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, l’Italie et les Pays-Bas) autour du charbon et de l’acier, la CECA constitue le résultat d’une volonté politique d’après-guerre pour un rapprochement européen.
Avec la signature du traité de l’Élysée le 22 janvier 1963 à Paris par de Gaulle et Adenauer à la suite d’une série de visites, les deux pays de part et d’autre du Rhin ont noué une coopération solide et sincère. Une prouesse jamais réalisée depuis le début du processus de la reconstruction européenne d’après-guerre. Pour les deux chefs d’État signataires, le traité de l’Élysée est avant tout l’expression concrète d’une amitié franco-allemande.
La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : comment cette réconciliation franco- allemande évolue-t-elle aujourd’hui ? Si l’on prend l’exemple de l’apprentissage de la langue du voisin, qui est l’un des principaux engagements du traité, n’y a-t-il pas en quelque sorte une détérioration des relations entre les deux pays, si l’on considère que, pour ne citer que l’exemple de la France, l’enseignement de l’allemand est en recul, voire en déclin ? Dans plusieurs collèges français, l’allemand n’est plus enseigné. À l’université, le nombre d’étudiants en germanistique continue également de baisser.
BIBLIOGRAPHIE
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