C’est une trouvaille aussi précieuse que fragile. Le 20 juillet dernier, au crépuscule, une équipe de naturalistes et de bénévoles du Parc national de la Vallée de la Semois et du pôle Plecotus de Natagora a identifié une deuxième colonie de barbastelles d’Europe (Barbastella barbastellus) sur le territoire wallon. Cette découverte s’est déroulée à Muno, un petit village de la commune de Florenville, situé au cœur d’un territoire forestier préservé, à la lisière de la France.
Une telle découverte n’est pas anecdotique : la barbastelle est une chauve-souris rare et menacée, classée en danger critique d’extinction en Wallonie. Jusque-là, une seule colonie avait été officiellement identifiée dans la région, en 2016. Sa présence aujourd’hui confirmée dans une seconde zone constitue un événement majeur pour les spécialistes de la faune nocturne et les défenseurs de la biodiversité.

Une opération de terrain méticuleuse
Tout a commencé avec une opération de capture nocturne menée par des volontaires et des spécialistes du parc, encadrée par le chiroptérologue Jonathan Demaret. « La barbastelle d’Europe est l’une des deux espèces prioritaires dans le cadre de nos recherches dans le Parc national », explique-t-il. Cette nuit-là, 16 chauves-souris appartenant à diverses espèces ont été capturées à l’aide de filets japonais, dont six barbastelles : deux femelles post-allaitantes et quatre mâles. Les femelles, en bonne santé, ont été équipées de balises radio afin de suivre leurs déplacements par télémétrie. Le lendemain, le signal a conduit les chercheurs vers un chêne mort aux écorces décollées, utilisé comme gîte. Ce repérage a permis de comptabiliser 22 individus quittant l’arbre au moment du crépuscule, malgré des conditions météorologiques peu favorables. Il s’agit donc d’une colonie bien installée, et non de simples individus isolés.
Une forêt d’exception, un refuge discret
Cette découverte n’est pas le fruit du hasard. Le Parc national de la Vallée de la Semois est reconnu pour sa richesse écologique exceptionnelle. On y recense 20 des 24 espèces de chauves-souris présentes en Wallonie. Les conditions y sont idéales : rivière sinueuse et naturelle, vieilles forêts feuillues, prairies ouvertes, zones non éclairées et anciennes ardoisières formant un réseau de cavités propices à l’hibernation. La barbastelle, chauve-souris discrète et difficile à observer, affectionne les forêts anciennes et peu dérangées. Elle est dite fissuricole, car elle niche dans les fissures d’écorces, les interstices de troncs morts ou les rochers. De nature méfiante et fragile, elle change de gîte tous les deux ou trois jours, ce qui rend son suivi particulièrement complexe.

Une espèce à protéger d’urgence
Avec ses grandes oreilles rapprochées, son pelage noir charbon et sa taille moyenne (45 à 58 mm), la barbastelle d’Europe se distingue également par son régime alimentaire : elle se nourrit principalement de papillons de nuit, repérés grâce à un sonar très spécifique, capable de détecter les sons émis par les battements d’ailes des insectes. Longtemps invisible, cette espèce n’était connue en Wallonie que par quelques observations fugaces. Ce n’est qu’en 2016 que la première colonie avait été découverte dans la province de Luxembourg. Aujourd’hui, cette seconde colonie identifiée à Muno offre une lueur d’espoir pour l’espèce, tout en soulignant l’importance de poursuivre les efforts de préservation.
Une mobilisation collective
La mise au jour de cette colonie est le résultat d’un travail de terrain minutieux, rendu possible grâce à la mobilisation des experts de Natagora, des agents du Parc national et des bénévoles passionnés. Le Plan d’actions chiroptères du Parc national vise justement à localiser les colonies, sécuriser les gîtes, cartographier les ponts et tunnels favorables, et garantir la quiétude des sites d’hibernation, en particulier dans les anciennes ardoisières. Pour Nicolas Ancion, codirecteur du Parc national de la Vallée de la Semois, cette découverte est hautement symbolique : « Cela témoigne de la grande qualité de l’environnement au sein du Parc national, mais aussi de l’excellence du travail réalisé par nos équipes et nos partenaires. »
Un signal fort pour la conservation
À l’heure où les populations de chauves-souris connaissent un déclin alarmant en Europe – en raison de la perte d’habitats, de la pollution lumineuse, de l’usage massif d’insecticides et du dérangement humain –, la présence d’une colonie viable de barbastelles dans cette région est un signal positif, mais aussi une responsabilité accrue.Les efforts vont désormais se poursuivre avec un suivi télémétrique approfondi, la protection des arbres-gîtes identifiés, et la sensibilisation du public à l’importance de ces petits mammifères ailés, si souvent méconnus et pourtant si précieux pour l’équilibre écologique des forêts.
La barbastelle d’Europe, un bijou de la nature à préserver à tout prix. Grâce à des actions concertées et des territoires préservés comme celui du Parc national de la Vallée de la Semois, un espoir renaît pour cette espèce discrète, indicatrice de la santé des écosystèmes forestiers.

A propos du Parc national de la Vallée de la Semois : Reconnu en 2022 à la suite d’un appel à projets du Gouvernement wallon, le Parc national de la Vallée de la Semois poursuit deux objectifs fondamentaux : la protection et le développement des espaces naturels et paysagers d’une part, et leur mise en valeur à travers un tourisme durable d’autre part. Pour atteindre ces objectifs, 75 actions seront menées d’ici 2026 sur le territoire du Parc national, qui s’étale sur 8 communes des provinces de Luxembourg et Namur, sur un total de près de 29.000 hectares d’un seul tenant. Ces missions, prises en charge par 11 opérateurs sous l’égide de la fondation du Parc national de la Vallée de la Semois, se poursuivront au-delà de 2026. Un plan directeur rédigé par les porteurs du projet dessine en effet une vision ambitieuse, à un horizon de 20 ans, pour ce territoire-laboratoire. Site Web : www.ardenne-meridionale.be et www.semois-parcnational.be
A propos de Natagora
Présente dans tout l’espace Wallonie-Bruxelles, Natagora possède de nombreuses réserves naturelles,réparties sur plus de 6 000 hectares. Le grand objectif de l’association est d’enrayer la dégradation de la biodiversité et contribuer au rétablissement d’un meilleur équilibre entre l’homme et la nature. Natagora est membre du réseau BirdLife International. Site Web : www.natagora.be
