Avant que les Eagles n’en fassent une chanson, les Stones en avaient fait un art de vivre.
Il y a des cocktails qui traversent les modes, portés par leur simplicité, leur élégance… ou leur légende. Le Tequila Sunrise appartient aux trois catégories. Derrière cette boisson à la fois douce, acidulée et visuellement spectaculaire, se cache l’histoire d’un homme discret mais au destin scintillant comme une coulée de grenadine : Bobby Lozoff. Le barman californien, qui a inventé ce cocktail emblématique à la fin des années 60 pour les Rolling Stones, est décédé à l’âge de 77 ans.
Un soir d’hiver, une étincelle – Nous sommes en 1969, à Sausalito, petite ville bohème au nord de San Francisco, sur les rives de la baie. Au Trident, un restaurant chic et cool tenu par des anciens du Kingston Trio – groupe folk à succès –, une soirée privée s’organise pour les Rolling Stones. Le mythique promoteur Bill Graham a convié le groupe pour se détendre après le concert d’Altamont Speedway, tristement célèbre pour ses débordements et ses trois morts. L’ambiance est lourde, mais le besoin de décompresser est urgent. Bobby Lozoff, alors jeune barman de 21 ans, officie derrière le comptoir. Lorsque Keith Richards s’avance et commande une margarita, Bobby propose une alternative : un cocktail personnel, fruit de ses expérimentations, alliant tequila, jus d’orange et sirop de grenadine. Une recette simple, sans shaker, mais qui offre un dégradé de couleurs digne d’un coucher de soleil mexicain. Keith est conquis.
Naissance d’un culte liquide – Le Tequila Sunrise devient immédiatement la boisson fétiche du guitariste. Il la fait découvrir à ses compères, puis l’adopte pour de bon. Lors de la tournée américaine de 1972, le cocktail circule dans les coulisses, sur les tables, dans les loges, les avions privés. On en parle comme de l’élixir officiel des Stones. La presse surnomme la tournée “Cocaine and Tequila Sunrise Tour”, résumé lapidaire mais fidèle à l’époque. C’est là que le Tequila Sunrise entre dans la mythologie rock. Et qu’il inspire quelques mois plus tard Don Henley et Glenn Frey, des Eagles, qui voient dans ce mélange ensoleillé et trompeusement doux une belle métaphore de la mélancolie californienne. Leur chanson “Tequila Sunrise”, sortie en 1973, devient un classique du rock américain.
Un bar, un style de vie – Le Trident, théâtre de cette alchimie entre musique et mixologie, n’était pas un bar comme les autres. Haut lieu de la contre-culture, fréquenté par Janis Joplin, David Crosby et bien d’autres, il incarnait une époque libre et décomplexée où les frontières entre musiciens, artistes et serveurs s’effaçaient dans les volutes de fumée et les riffs de guitare.
Bobby Lozoff, avec ses chemises à fleurs et son sourire de beatnik, était de ces figures anonymes qui ont façonné la culture pop sans chercher la lumière. Après des années passées derrière le comptoir à servir les plus grands, il quitte la baie de San Francisco en 1976 pour s’installer à Hawaï, troquant l’effervescence californienne contre la douceur insulaire.
L’héritage d’un cocktail – Le Tequila Sunrise a depuis fait le tour du monde. On le retrouve dans les bars de plage, les rooftops branchés, les guides de cocktails les plus sérieux. Mais peu connaissent l’origine de cette création aux allures de coucher de soleil liquide. Voici la recette originale de Bobby Lozoff, transmise comme un témoignage d’une époque où l’on créait sans imaginer que ça deviendrait une légende :
Tequila Sunrise – Recette originale de Bobby Lozoff
- 120 ml de jus d’orange frais
- 60 ml de tequila argentée (silver)
- 15 ml de sirop de grenadine
- Glaçons
- Garniture : une demi-rondelle d’orange
Préparation : Dans un grand verre rempli de glaçons, versez la tequila puis le jus d’orange. Ajoutez doucement la grenadine, qui viendra se déposer au fond du verre. Ne remuez pas. Garnissez d’une tranche d’orange. Dégustez au son des Stones ou des Eagles, selon votre humeur.
Bobby Lozoff n’a pas cherché à capitaliser sur son invention. Il n’a pas écrit de livre, ni ouvert de chaîne de bars. Mais il laisse derrière lui un cocktail devenu immortel, et une histoire que les amateurs de rock et de mixologie continueront de raconter longtemps, verre à la main.
À Sausalito, les couchers de soleil n’auront plus jamais la même saveur.
(Source Noise11)