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Pourquoi les Églises chrétiennes et leurs médias redoutent l’IA : entre perte d’influence et quête de sens

L’intelligence artificielle (IA) bouleverse les repères spirituels et médiatiques des Églises chrétiennes. Qu’elles soient catholiques ou protestantes, leurs institutions et médias (RCF, Radio Notre-Dame, La Croix, Phare FM, Réforme, Réformés.ch…) oscillent entre inquiétude et curiosité. Derrière les discours prudents sur l’éthique et la déshumanisation se cache une crainte plus profonde : celle d’une perte d’influence symbolique dans un monde où la machine devient interlocutrice. Pourtant, l’IA offre aussi des leviers formidables pour la transmission, la solidarité et la pastorale. Voici une analyse croisée des réactions chrétiennes et des pistes pour transformer la peur en partenariat.

L’IA : un tournant culturel autant que technologique

L’intelligence artificielle n’est plus un sujet réservé aux ingénieurs. Elle écrit, parle, traduit, répond — et parfois même “prêche”. Pour la première fois, une technologie touche à ce que les religions considéraient comme leur domaine privilégié : la parole, le sens et la conscience. L’Église catholique, tout comme les communautés protestantes, perçoit dans cette révolution non seulement un défi moral, mais aussi une transformation culturelle majeure : la possibilité qu’une machine prenne la parole sur des sujets existentiels. Dans une note récente intitulée Antiqua et Nova, publiée en janvier 2025, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi avertit : « L’intelligence artificielle ne peut remplacer ni l’intuition humaine ni l’ouverture à la transcendance. » De leur côté, des pasteurs réformés et évangéliques rappellent que « la foi naît d’une relation et non d’une instruction automatisée » (Réformés.ch, 2024).

Des médias religieux sur la défensive

Du côté catholique : vigilance et encadrement éthique

Les grands médias catholiques (RCF, La Croix, Radio Notre-Dame, Dimanche) abordent l’IA avec prudence. Les éditoriaux récents évoquent une technologie « utile mais dangereuse » si elle remplace le discernement humain. RCF a consacré plusieurs émissions au sujet : les invités — chercheurs, théologiens, journalistes — y appellent à « une éthique de la relation » face aux outils génératifs. Le Vatican, via l’Appel de Rome pour une éthique de l’IA, signé par des acteurs religieux et industriels, cherche à encadrer l’innovation tout en affirmant une boussole morale : la dignité humaine comme critère ultime.

Du côté protestant : expérimentation prudente et réflexion critique

Les médias protestants adoptent un ton différent : plus expérimental, parfois plus ouvert.
Le magazine Réformés.ch a publié dès 2018 un article intitulé « La foi chrétienne face à l’intelligence artificielle », où la journaliste É lise Perrier s’interrogeait :

« Que devient l’humain lorsque la machine est capable de bénir ou de prier ? »

Elle évoquait le robot bénisseur BlessU-2, conçu par une Église luthérienne allemande, et concluait :

« Notre responsabilité est de garder la technologie à sa place : au service de l’humain, non à sa place. »

En mai 2025, le journal Réforme relayait les débats des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens à Genève autour de l’IA au travail : perte d’autonomie, “technostress”, maîtrise des données. L’enjeu, y lisait-on, est de “vivre l’innovation sans déserter le sens”. Enfin, Protestinfo rapportait en 2024 que plusieurs Églises romandes expérimentent des chatbots bibliques et des outils d’analyse de textes sacrés, tout en mettant en garde contre la tentation de “remplacer le dialogue pastoral par une requête anonyme”.

Une peur qui dépasse la technique : celle de l’effacement symbolique

L’autorité spirituelle concurrencée

Pendant des siècles, la parole religieuse a été médiatrice du sens. Aujourd’hui, une génération entière peut demander à une IA : “Qu’est-ce que la foi ?” ou “Comment prier ?” — et recevoir une réponse instantanée, cohérente, parfois inspirante.
Pour les responsables ecclésiaux, cela brouille la frontière entre parole inspirée et parole calculée.

L’archevêque Vincenzo Paglia, président de l’Académie pontificale pour la Vie, le résume ainsi :

« Ce qui nous inquiète n’est pas la machine, mais l’homme qui s’y délègue. »

Les protestants partagent cette préoccupation, mais dans une optique plus individuelle : le pasteur Daniel Rivaud, interrogé par Réformés, avertit que « l’IA ne doit pas devenir un raccourci spirituel ». Chez eux, la crainte est moins institutionnelle que existentielle : comment garder le goût de la recherche personnelle, du doute et du dialogue ?

La parole désincarnée

L’IA remet aussi en cause une valeur centrale du christianisme : l’incarnation.
Qu’elle soit catholique ou protestante, la foi chrétienne se vit dans le contact, la communauté, la voix humaine.
Une homélie synthétique, une prière générée ou un chant sans souffle posent une question de fond : où est passé le mystère ?

Des réactions concrètes : entre prudence et pragmatisme

Dans les médias catholiques

  • La Croix multiplie les tribunes de philosophes et de prêtres sur l’“écologie de la technique”.
  • RCF forme ses équipes à l’usage éthique des outils IA pour le montage et la traduction audio, tout en rappelant que “la rencontre humaine reste première”.
  • Le Vatican encourage la recherche interdisciplinaire avec les universités et les entreprises.

Dans les médias protestants

  • Phare FM, radio francophone évangélique, utilise déjà l’IA pour traduire ses émissions et ses podcasts afin d’atteindre des auditeurs anglophones et hispanophones — preuve que l’outil peut être missionnaire.
  • Réforme et Réformés.ch invitent régulièrement des théologiens à débattre de l’IA dans les rubriques “Société” et “Foi et culture”.
  • Des communautés locales testent des IA conversationnelles internes, encadrées par des pasteurs, pour répondre à des questions bibliques simples.

Cette diversité de réponses traduit une différence de culture : la hiérarchie catholique cherche la cohérence doctrinale, tandis que le monde protestant préfère l’expérimentation individuelle, sous responsabilité éthique.

Les craintes sont-elles justifiées ?

Oui, sur trois points

  1. Le discernement : l’IA peut reproduire des réponses plausibles sans véritable compréhension. Confondre le vraisemblable et le vrai reste un danger pour la foi comme pour la société.
  2. L’influence culturelle : si les algorithmes façonnent nos priorités, la formation morale risque d’être remplacée par la logique du clic.
  3. La manipulation : les deepfakes religieux ou les fausses homélies sont déjà techniquement possibles — la prudence est donc légitime.

Non, sur deux autres

  1. L’IA ne “remplacera” pas la foi. Elle peut imiter la parole, pas l’expérience du divin.
  2. L’influence religieuse ne disparaît pas ; elle se déplace. Les Églises qui investissent dans la pédagogie, la culture numérique et le service communautaire peuvent retrouver une voix nouvelle dans l’espace public.

L’IA comme partenaire : des pistes concrètes

  1. Construire des IA de confiance : modèles supervisés par des théologiens, entraînés sur des corpus bibliques et pastoraux, offrant des réponses contextualisées.
  2. Faciliter l’accessibilité : transcription automatique d’homélies, sous-titrage des messes, traduction simultanée pour les communautés multiculturelles.
  3. Former au discernement numérique : ateliers paroissiaux ou cultuels sur la désinformation et les biais algorithmiques.
  4. Utiliser l’IA pour la solidarité : repérer les signaux de détresse sociale (isolement, pauvreté) pour orienter l’action caritative.
  5. Création artistique et liturgique : chants générés, illustrations, supports catéchétiques — à condition d’annoncer la médiation technologique et de garder la signature humaine.

Ce que l’IA peut apporter aux croyants

  • Un accès inédit au patrimoine spirituel : bases de données, homélies, manuscrits anciens disponibles via outils IA.
  • Un accompagnement discret et accessible : rappel de lectures bibliques, méditations quotidiennes, formations interactives.
  • Une ouverture universelle : traduction automatique de contenus pour franchir les barrières linguistiques et culturelles.
  • Une aide à la prière : certains croyants, notamment jeunes, utilisent déjà des applications IA pour structurer leurs temps de prière — un usage qui ne remplace pas la foi, mais soutient la régularité.

Conclusion : faire de la technologie un lieu de théologie

L’intelligence artificielle agit comme un miroir : elle oblige les Églises à se demander ce qu’elles veulent transmettre, et comment.
Les catholiques craignent une perte d’influence ; les protestants y voient une occasion de dialogue et de discernement. Mais toutes partagent la même intuition : la foi ne peut être automatisée. Le défi n’est donc pas de combattre l’IA, mais d’y inscrire la question du sens. Comme l’écrivait Réformés.ch, « la vraie intelligence n’est pas artificielle ; elle est relationnelle ». Et c’est peut-être là que les Églises — en retrouvant l’art du dialogue et du témoignage vivant — peuvent redevenir des phares dans le tumulte numérique.

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