Kyiv, printemps 2024 – Iryna Moskalenko rentre à Kyiv après un long parcours à l’étranger. Aujourd’hui talent acquisition manager à l’International Rescue Committee, elle ressent une absence lancinante : la musique. Cette ville qu’elle redécouvre lui apparaît étrangement muette — pas d’amis, pas de chorales, juste le ronron familier des collègues. Et pourtant, une pulsion l’anime.
Elle rédige… un appel. Posté sur robota.ua, un site bien connu en Ukraine. L’annonce cherche des voix, du temps, de l’âme pour un projet vocal bénévole. Quelques messages affluent. Parmi eux, Rina et Yuliia, les premières à répondre. Une date est fixée : le 8 mars 2024, premier jour du printemps. Premier souffle. Une répétition hebdomadaire, des airs qui renaissent.

Le nom d’un charme : Vabytsia, « celle qui attire »
Choisir un nom pour un groupe, c’est souvent dire l’essentiel en un mot. Pour Iryna Moskalenko et ses complices, ce mot s’est imposé comme une évidence : Vabytsia. Né du verbe ukrainien vabyty, qui signifie attirer, charmer, ce terme évoque une figure féminine magnétique, mystérieuse, capable d’émouvoir sans dire un mot. Dans sa sonorité même, Vabytsia contient une forme de douceur et d’élan, un appel discret mais profond. Ce nom n’est pas un simple ornement, il incarne l’âme du groupe. « Nous sommes des femmes qui chantent de belles chansons », disent-elles avec simplicité mais avec la conviction de celles qui savent ce que la beauté peut provoquer. C’est une manière d’affirmer leur féminité sans artifices, leur puissance sans excès, leur ancrage dans une tradition qui donne de la voix aux émotions plutôt qu’au spectacle. Vabytsia attire, certes — mais par l’authenticité, par l’émotion, par la force tranquille des harmonies polyphoniques qui caressent, qui traversent, qui restent.
La force du groupe, c’est aussi son ouverture : en 2024, Vabytsia engage Serj Constant, rappeur et producteur, pour une réorchestration du folk « Dva Kolyory ». Ensemble, ils se plongent dans le répertoire chanté du Polyphony Project, un vaste travail de préservation du folklore ukrainien authentique . Des titres comme “V suboty piznenko” (appris au Liban), “Kosyt kosar” (issus d’expéditions ethnographiques), et “U poli Zhyto” deviennent des ponts entre tradition et modernité.

Portraits de voix
Au cœur de Vabytsia, cinq voix se mêlent et s’accordent, chacune apportant sa couleur, son histoire, sa force discrète. Il y a d’abord Rina Karmin, véritable âme créative du groupe. Auteure de la chanson emblématique Vabyty, elle incarne une interprétation vibrante et passionnée, capable de porter les mots comme on porte une cause. À ses côtés, Yuliia, l’une des premières à répondre à l’appel lancé par Iryna, s’impose comme une ambassadrice instinctive de l’émotion collective. Sa sensibilité donne au groupe cette chaleur humaine qui touche dès les premières notes.
Kateryna Masloid rejoint l’aventure en avril 2023. Sa voix vient enrichir la palette sonore de Vabytsia avec justesse, apportant équilibre et relief à chaque harmonie. Un an plus tard, en mars 2025, c’est Lilia Kaufman qui intègre le groupe. Ancienne chanteuse soliste, elle a d’abord observé le projet avec attention depuis les réseaux sociaux, avant de ressentir le désir profond d’en faire partie. Sa voix, déjà affirmée, s’accorde avec grâce à l’esprit de sororité et de création collective qui anime le groupe.
Et puis, bien sûr, il y a Iryna Moskalenko, fondatrice infatigable, pilier discret mais essentiel. Celle par qui tout a commencé. Elle insuffle à Vabytsia son énergie, son organisation, et surtout cette conviction que la musique, même née d’un simple message sur une plateforme d’emploi, peut devenir une source de beauté, de lien et de résilience. Ensemble, ces cinq femmes tissent un chant à plusieurs voix, mais porté par une même âme.
Une scène pour souffler… et espérer
Entre 2024 et 2025, Vabytsia enchaîne les prestations, mais pas dans les lieux attendus du show-business. Leurs voix résonnent là où l’espoir a besoin d’écho : dans les salles de concerts improvisées, les hôpitaux meurtris, les scènes caritatives où la musique apaise les âmes. Elles chantent pour « Svit dobra », un événement centré sur la solidarité, mais aussi lors de la célébration de la Journée de la jeunesse, moment festif qui met la culture au service des nouvelles générations. Elles se produisent également à Ohmatdyt, le plus grand hôpital pour enfants de Kyiv, fortement touché par les bombardements russes, offrant un moment suspendu aux jeunes patients, à leurs familles et au personnel soignant. Leur présence illumine aussi le rassemblement « Together for Victory », ainsi que les festivités de la Fête de l’Indépendance. La fondation « Healthy Universe » fait appel à elles pour un événement solidaire, tout comme le concert « Miracle de Noël » qui donne à la tradition une dimension presque sacrée. Elles montent aussi sur la scène du prestigieux Palais des Sports de Kyiv, à l’occasion du spectacle « Héritage doré de l’Ukraine », avant d’apporter leur voix au festival ethnique de Hrihorivka, au cœur du district de Cherkasy. À travers chacun de ces concerts, leur polyphonie devient un acte de résistance douce, une façon de dire que l’Ukraine ne se réduit pas à ses ruines, mais se reconstruit aussi dans la beauté.

Six chansons. Six boussoles
En l’espace d’un an et demi, le groupe Vabytsia trace une cartographie sonore faite de six chansons, comme autant de repères dans une époque troublée. Leur tout premier titre, « Dva Kolyory », signé du poète Dmytro Pavlychko, porte la marque d’une identité profondément ukrainienne. Suit « Harna », une ode à la beauté, et « Vabyty », chanson signature du groupe, écrite par Rina Karmin, véritable manifeste de leur nom et de leur esthétique. À ces trois titres s’ajoutent les fruits d’une collaboration féconde avec le rappeur et producteur Serj Constant. Ensemble, ils revisitent le patrimoine avec des arrangements audacieux, mêlant rythmes urbains et lignes mélodiques anciennes. « V suboty piznenko », « Kosyt Kosar » et « U poli Zhyto » sont des chants issus de la tradition orale, remis en lumière avec une modernité assumée. Loin de se contenter de reproduire, Vabytsia réinterprète, joue des contrastes, tisse un dialogue entre passé et présent. Ces chansons deviennent autant de boussoles émotionnelles pour celles et ceux qui écoutent : elles guident, rassurent, éveillent, dans un monde où l’on cherche encore son nord.
Travailler dur, vibrer plus fort
Ce projet n’est pas qu’un projet artistique, c’est une aventure humaine. Chaque membre jongle entre répétitions, tournages, tenues, restauration de l’image, tout en gardant leur motivation intacte. Et surtout, un rituel fragile s’est tissé : après chaque nuit de bombardements, elles s’encaissent les unes les autres, s’enquièrent des émotions, de la peur, du calme — et partagent au cœur même du chaos une fraternité indestructible.

Pourquoi ça compte
Dans une Ukraine ravagée, le folk se révèle plus qu’un genre musical. C’est un bouclier identitaire, une tendresse contre l’oubli. Ce phénomène a été observé : dans les bars de Kyiv, des DJs mêlent beats techno et voix folkloriques, entraînant le public dans des kolomyïkas improvisés . Vabytsia inscrit ce mouvement dans la beauté, la douceur, la résilience.
Vabytsia, ce sont des voix qui résistent. Des rencontres, des chants anciens réinsérés dans la modernité. Un groupe de femmes déterminées qui cultivent leur art comme un acte de mémoire, de guérison et de bravoure, tandis qu’elles font converger tradition et urgence contemporaine.
Suivez Vabytsia sur les réseaux
Youtube : https://www.youtube.com/@vabytsia
Facebook : https://www.facebook.com/profile.php?id=61567949420635
Instagram : https://www.instagram.com/vabytsia/
Tik Tok : https://www.tiktok.com/@vabytsia




